Malgré les épreuves, Bowen n’a jamais abandonné sa communauté

Parfois, avant même qu’il ait pris la parole au Collège de police de l’Ontario, quelqu’un posera à Orlando Bowen l’une des deux questions suivantes.

Pourquoi? Comment?

« J’ai dit que c’était très simple », a expliqué Bowen. « Il n’y a pas d’eux et de nous. Il y a seulement nous. »

Écouter Orlando Bowen, un ancien des Argonauts de Toronto et des Tiger-Cats de Hamilton, raconter les « pourquoi » et les « comment » de son incroyable parcours l’ayant mené à livrer ses discours est comme écouter une incroyable leçon d’humilité et de mise en perspective.

En mars 2004, Bowen venait de signer une prolongation de contrat avec les Tiger-Cats. Originaire de Brampton, le secondeur avait convenu avec des amis de célébrer le tout à Mississauga. Il les attendait dans le stationnement de leur lieu de rendez-vous lorsqu’il a été approché par deux policiers en civil. Ils l’ont battu puis ont vraisemblablement caché de la drogue sur lui, avant de l’accuser de voies de fait contre des policiers et de possession de cocaïne. Bowen et son avocat ont plaidé qu’il s’agissait de profilage racial. Bowen a été acquitté en 2005, après que l’un des deux policiers en question ait été arrêté pour trafic de cocaïne.

Quelque 14 ans plus tard, Bowen se souvient de tous les détails de cette soirée. Il se souvient du tatouage sur l’un des bras d’un policier. Il se souvient que lorsqu’il a été appréhendé par les deux hommes, l’un d’eux a mis sa main sur sa poitrine et lui a demandé pourquoi son cœur battait si rapidement. Il a penché les yeux et il a remarqué que la main de l’agent tremblait.

Il se souvient s’être demandé s’il s’agissait réellement de policiers en civil, puis, quand il a tenté de se rendre devant sa voiture pour s’enfuir, il se souvient qu’ils ont bondi sur lui. Il dit qu’ils l’ont menacé de lui fracturer une jambe, et de lui mettre une balle entre les deux yeux. Il a été victime d’une commotion cérébrale, ce qui a mis fin à sa carrière avant même de pouvoir profiter de ce nouveau contrat avec les Ticats. Couché sur le béton froid cette soirée-là, Bowen était persuadé qu’il allait mourir.

« Nous avions un enfant d’un an et ma femme était enceinte. La seule chose à laquelle je pensais c’était que je rêvais d’un jour voir mon fils assister à un de mes matchs et pointer vers le terrain en criant : ‘’C’est mon père!’’ », a dit Bowen.

« Je rêvais à ce genre de scénario : mon fils dans un bras, et la coupe Grey dans l’autre. Mais j’étais par terre, et ces hommes juraient qu’ils me fracturaient la jambe… Ils me frappaient au visage et je me disais qu’aucun de ces rêves n’allait se réaliser. Aucune des choses que j’avais envisagées n’allait arriver… Et c’était pour cette raison? De cette manière? Je n’arrivais pas à croire que c’était la manière dont j’allais mourir. De toutes les façons inimaginables, comment est-ce possible? »

Ce qui avait rendu la nouvelle de l’arrestation de Bowen encore plus difficile à croire était son grand dévouement envers la communauté, incluant son bénévolat avec le service de police de la région de Peel, le même service l’ayant arrêté. Avant de quitter son lucratif emploi de consultant en technologies de l’information à Chicago (il avait disputé son football universitaire avec l’Université Northern Illinois), pour se joindre aux Argos, s’impliquer dans la communauté avait été un bon argument de vente de la part du représentant des Torontois, Michael « Pinball » Clemons.

« On m’a toujours dit de faire tout mon possible pour mettre la barre plus haute, mais pour aussi soulever le plancher, afin que tout le monde puisse atteindre la barre. Et ça me manquait », a dit Bowen.

Avec les Argos, Bowen a plongé dans le bénévolat. Il s’impliquait auprès de Crimestoppers, Sick Kids, Covenant House, du Boys and Girls Club. Mais avec les accusations pesant contre lui, il a dû tout arrêter jusqu’à ce que sa cause soit réglée.

Après avoir été acquitté, Bowen avait tous les droits d’être fâché envers les policiers, de mettre fin à ses relations avec le service de police et de concentrer ses efforts vers d’autres choses. Alors qu’il s’efforçait à aider les jeunes, il pensait continuellement aux deux policiers.

Il repensait à la fois où il avait vu l’un des officiers prêter serment à la cour, puis, selon Bowen, mentir à propos de tout ce qui s’était passé cette soirée-là.

« À ce moment-là, tout ce que je pouvais penser, c’était le genre de douleur ou de traumatisme qu’il avait dû endurer pour se permettre de faire vivre quelque chose de la sorte à un autre être humain, alors qu’il connaissait la vérité », a dit Bowen.

« Nous devions passer au travers pour que nous puissions être une voix pour ceux qui se considèrent sans voix et pour ceux qui pourraient rencontrer des situations qu’ils pourraient considérer comme sans espoir. »

En 2014, il a exprimé ce qu’il avait été incapable d’exprimer dans cette salle d’audience et a partagé avec les deux policiers une lettre qu’il avait écrite au cours du procès. Bowen leur a pardonné. Survivre à cette nuit-là l’a aidé à mettre le reste de ses jours en perspective.

« Je suis en vie pour une raison. Je suis en vie, et il y a une raison pour laquelle je ne suis pas mort cette soirée-là », a-t-il dit.

« Il y a une raison pour laquelle ils ont arrêté quand ils ont arrêté. Il y a une raison pour laquelle mon crâne ne s’est pas fracturé, ce qui aurait facilement pu être le cas. Je serais mort dans cette cellule de prison cette soirée-là. »

« Vous pouvez choisir de vous concentrer sur des choses négatives, ou de vous concentrer sur autre chose. Ma famille et moi avons choisi d’offrir des possibilités aux autres, peu importe les défis qu’ils ont affrontés ou qu’ils devront affronter. »

« Ç’a été mon choix. Une alternative. Être toujours fâché ne m’aurait pas aidé. Ça n’aurait pas aidé notre communauté. Ça n’aurait pas aidé nos jeunes, et ça n’aurait pas aidé la police. Donc si ça n’allait pas aider qui que ce soit, ce n’était pas une option pour nous. Nous sommes là-dedans ensemble. »

Depuis 2016, Bowen travaille avec le Collège de police de l’Ontario en tant que membre de la table ronde sur la formation dans le cadre de la Commission ontarienne des droits de la personne. C’est un rôle que plusieurs personnes ayant vécu ce que Bowen a vécu rejetteraient, mais il voulait voir des changements. Il voulait que ce soit tout le monde ensemble, plutôt qu’eux contre nous.

« Je suis parfois dans une pièce avec un policier, et ce dernier me regarde en se disant : ‘’Mon gars, je ne comprends pas’’ », a dit Bowen en riant. « ‘’Si quelque chose du genre devait m’arriver, je ne serais assurément pas ici.’’ »

« Si quelqu’un m’avait remis un script et m’avait dit que c’est ce qui allait arriver, je dirais probablement la même chose. Mais c’est ce que je vis aujourd’hui, et ce sont des choix que nous avons faits. »

« Certains policiers sont offensés quand je partage ce que j’ai vécu. Je me dis : ‘’Vous êtes offensé? Je préfèrerais ne pas avoir cette histoire à raconter.’’ », a de nouveau dit Bowen en riant.

« On ne peut pas s’améliorer en ignorant la vérité. Nous devons la divulguer, puis nous devons changer les choses. »

D’après un article de Chris O’Leary publié sur le CFL.ca.