5 juin 2020

L’ancien des Ticats, Terrence Campbell, et la police de San Jose

Johany Jutras/CFL.ca

SAN JOSE – Ce qui se passe en ce moment à San Jose se produit un peu partout aux États-Unis, depuis deux semaines.

Il y a un mur de policiers devant un mur de manifestants. La police tient des bâtons et des bombes de gaz lacrymogène. Alors que certains manifestants crient après les policiers d’un côté, de l’autre, un policier s’entretient avec une jeune femme. Une caméra télé a capté la scène et ça n’a pas pris trop de temps pour que tout le monde réagisse à ce qui se passe. Les manifestants se dispersent, s’enfuyant du mur de policiers, pendant qu’un petit groupe des forces de l’ordre se rue à leur poursuite. Un lecteur de nouvelle annonce qu’un des policiers lance une bombe lacrymogène et, étrangement, la foule se calme.

La police reforme son mur, ainsi que les manifestants, quelques-uns d’entre eux mettent même le genou à terre, rappelant la pose du joueur de football de la NFL Colin Kaepernick, en signe de protestation, au cours de l’hymne national américain. Maintenant, ce geste nous ramène à l’horrible scène qui a déclenché tout se brouhaha des dernières semaines, alors qu’un policier de Minneapolis, Derek Chauvin, a appuyé son genou sur la nuque et le cou de George Floyd, pour presque neuf minutes, le 25 mai dernier. Ce fut là, les dernières minutes de la vie de Floyd. Bien avant qu’une autopsie indépendante ait révélé que la mort de Floyd était un homicide, la grogne populaire américaine était lancée, alors qu’un autre policier blanc aux États-Unis assassinait un civil Afro-Américain.

Aussi tendu que la situation ait été ce jour-là à San Jose, ce policier a continué à tenir sa position dans cette ligne, dans ce mur, mais aussi, il a poursuivi sa conversation avec les manifestants.

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I didn’t ask for this position and I never wanted to be a COP‼️ I grew up in GA when at the time you bet not call the police they only going make things worst♠️ I can’t count how many times we been searched or followed down the street by the police while walking around at night unlawfully searched & harassed (since I know the law better now) So I feel everyone’s Pain‼️ So how do we make change? I don’t have all the answers but I know anytime you want to make a CHANGE that CHANGE comes from with in. MORE ETHNIC PEOPLE need to get involved with politics, judges, lawyers, police officers things that govern the people. I PROMISE YOUR VOICE WILL BE HEARD A LOT LOUDER THAT WAY…. ALL THE MARCHING WAS DONE BY OUR LOVED ONES IN THE PAST TO OPEN UP THESE DOORS AND HELP GIVE THE PEOPLE MORE OF A VOICE. WHY NOT TAKE ADVANTAGE OF THE OPPORTUNITY GIVEN BY OUR PEOPLE WHO FOUGHT SO HARD FOR US TO HAVE THIS OPPORTUNITY. Anyone can make excuses anyone can come up with a conspiracy why it won’t work. JUST DO IT♠️ NO ITS NOT EASY‼️ BUT IT IS WORTH IT 🙏🙏🙏🙏

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Quatre ans auparavant, ce policier, Terrence Campbell, était aligné aux côtés de ses coéquipiers des Tiger-Cats de Hamilton. Son ancien coéquipier, Brandon Banks, a vu les séquences vidéo montrant Campbell aux nouvelles, le louangeant ensuite sur son compte Instagram par rapport au travail qu’il accomplit.

Avant et même aujourd’hui, Campbell est subjugué par le chemin que la vie lui a fait prendre. Et ce n’était pas le voyage auquel il avait nécessairement rêvé.

« Ce n’était pas dans mes plans, surtout lorsque j’étais jeune en Géorgie », a dit Campbell. « Je n’aurais jamais pensé que je deviendrais un agent de police. »

« Je n’en avais jamais parlé avec mes amis ou mes coéquipiers. Nous voulions jouer au football. Et si le football n’était plus une option, nous en rechercherions d’autres. »

Le passage de Campbell dans la Ligue canadienne de football (LCF) a été bref. Il a participé à six matchs des Ticats en 2016, pour ensuite se joindre aux Roughriders de la Saskatchewan en 2017, mais il a été libéré au cours du camp d’entraînement. Il est ensuite retourné à Atlanta et lorsqu’il a décidé que s’en était terminé avec le football, il a amorcé ses recherches afin d’entamer le prochain chapitre de sa vie. Il a trouvé une offre d’emploi en ligne, à la police de San Jose, il a postulé, pensant déjà que ce travail n’était pas fait pour lui.

Toutefois, la police de San Jose a aimé la candidature de Campbell et elle l’a contacté. Il a eu une bonne conversation au téléphone avec un recruteur, qui lui a demandé de le rencontrer au cours d’un événement à Atlanta, à la fin du mois de mai de l’an dernier.

« Je m’y suis rendu et j’ai parlé avec eux. Finalement, ils étaient de très bons gars », a dit Campbell. «C’étaient quatre gars et ils ont été capables de me parler et de me montrer ce qui se passait réellement. Ça m’a vraiment encouragé et ça m’a donné une autre perspective de la situation. »

Afin qu’il puisse intégrer la police, il a fallu que Campbell fasse la paix avec ses propres mauvaises expériences, lorsqu’il était plus jeune. Sa mère n’avait que 14 ans lorsqu’il est venu au monde. Il a donc grandi avec sa grand-mère. Elle s’occupait, chez elle, d’un groupe de 10 autres garçons. Campbell était le plus jeune.

« Ce n’était pas dans mes plans, surtout lorsque j’étais jeune en Géorgie. Je n’aurais jamais pensé que je deviendrais un agent de police. »

– Terrence Campbell

« Nous avons eu plusieurs altercations avec la police », a dit Campbell.

« Je me souviens du temps où j’étais au primaire, je me suis fait mettre les menottes et embarquer dans une voiture de police. J’étais impliqué dans une bagarre de quartier. Nous étions au primaire et nous nous amusions vraiment et la police m’a passé les menottes, m’a mis dans la voiture et m’a trimballé jusqu’au poste de police afin que je parle au gars qui avait dit que j’avais fait quelque chose de mal. »

« J’étais au primaire. Personne de ma famille n’était à la maison. On ne devrait jamais mettre les menottes à un enfant du primaire. Si j’avais été ce policier, j’aurais amené l’enfant voir l’autre et j’aurais essayé de régler le tout en parlant. Pas avec des menottes, pas à l’arrière d’une voiture de police. C’est stupide! Mais lorsque vous êtes petits, vous pensez que c’est normal, que c’est comme ça que ça se passe. Tout ce que vous connaissez à ce moment-là de votre vie, c’est votre quartier, votre ville. »

Il se souvient qu’il faisait une marche le soir avec ses amis et qu’ils ont entendu une voiture de police se ranger derrière eux, avec les lumières qui les aveuglaient. Il se souvient avoir été interpellé plusieurs fois par la police alors qu’il était au secondaire, ne se faisant jamais donner une contravention, mais il se faisait fouiller pour absolument rien. Être un joueur de football l’a souvent aidé, mais il se souvient toujours de la façon que les policiers lui parlaient. Lorsqu’il avait pris la décision de jouer à l’Université South Carolina, un policier lui avait dit qu’il ne s’y rendrait pas, qu’il emprunterait un autre chemin.

Campbell avait donc appris à se méfier de la police. Il ne fallait pas appeler la police puisque la plupart du temps, elle n’était d’aucune aide.

Mettant tout cela derrière lui, passant à travers son temps à l’académie et, par la suite, s’aventurant pour la première fois dans les rues avec son uniforme – il est policier depuis seulement neuf mois -, tout cela a été un vrai processus. Les policiers qui l’ont recruté l’ont aidé tout au long de ce processus et même lorsqu’il a déménagé à San Jose. Il voit maintenant la vie d’un autre angle, comparé au temps où il vivait en Géorgie. Il dit qu’il voit davantage de diversité en Californie, dans les rues et dans son département.

Terrence Campbell (60), en action sur le terrain avec les Tiger-Cats de Hamilton, en 2016 (John Childley/CFL.ca).

Après son temps à l’académie, Campbell apprend maintenant à connaître ses nouveaux collègues de travail depuis un an. Et le tout lui rappelle les moments qu’il a passés dans les vestiaires de football.

« C’était très similaire », a-t-il dit. « Au football, nous sommes une bande de gars différents, venant de différents lieux et de différentes situations sociales. »

« Tout le monde dans une équipe de football ne vient pas des rues du même quartier, tout le monde n’a pas vécu des moments difficiles, dans leur jeune temps. Mais tout le monde se rassemblait pour tenter d’accomplir le même objectif. Tout le monde avait des opinions différentes, des philosophies différentes, mais tout le monde voulait remporter le championnat. »

« Être un policier c’est la même chose. Nous ne venons pas tous de la même place, nous n’avons pas vécu les mêmes choses, mais notre objectif ultime est de protéger la ville et la communauté. »

Lorsque Campbell a vu la vidéo des derniers moments de George Floyd, il a ressenti la même chose que la plupart des gens autour du monde.

« J’étais dévasté. J’ai haï ça. J’étais furieux », a-t-il dit.

« C’était bizarre de regagner mon bureau par la suite. Mon sergent en a parlé devant toute l’équipe. Je le salue pour ça. C’était extraordinaire. Parlons-en! Merci… »

« Il y a un homme adulte au sol… Il n’y aucune raison de poser son genou sur son cou de la sorte. Aucune raison. Facilement, tu peux enlever ton genou et y poser ta main. »

« Je suis un homme avec un gabarit imposant. Ça aurait pu être moi. Ça n’a aucun rapport avec le métier de policier, pour être honnête. Pourquoi mettre son genou sur un homme? Changez ça et mettez votre main sur son corps, surtout lorsqu’il crie qu’il ne peut plus respirer. J’ai regardé la vidéo à de multiples reprises. C’est tragique et malheureux. Voir le regard de Chauvin pendant qu’il fait ce qu’il a fait… Je ne peux pas dire ce que je pense en ce moment… Ce n’est pas bien. »

Alors Campbell est sorti dans les rues, à travers les manifestants, afin de travailler dans une situation qu’il n’avait jamais vécue en tant que nouveau policier. Un média local télévisuel a capté quelques images de lui qui parlait avec des manifestants. S’il n’avait pas été en uniforme et dans une situation aussi tendue, il aurait eu l’air d’un homme ordinaire qui s’entretenait avec les gens.

« Elle voulait savoir pourquoi j’étais devenu un policier. Elle me demandait pourquoi. Cette femme est une reine », a dit Campbell. « Elle avait les larmes aux yeux. Elle s’exprimait avec calme, elle était directe et professionnelle. Lorsque vous vous comportez de cette façon, je peux engager une conversation avec vous. »

« Je lui ai répondu que je suis devenu un policier pour les mêmes raisons qu’elle était dans la rue en train de protester. On proteste pour se faire entendre, pour que nous puissions devenir un policier, un docteur, une infirmière, un juge, pour que nous puissions avoir le droit de vote. C’est ce que les manifestations de la sorte ont donné dans le passé : des occasions de grandir, de faire sa place. »

Campbell comprend la valeur et l’urgence de manifester. Il comprend aussi que ça peut ouvrir des portes. Les manifestations peuvent durer des jours, des semaines, des mois, mais lorsque vous mettez finalement le pied dans la porte, l’ouvrez, c’est là que les réels changements s’opèrent.

« Le plan sur lequel je travaille prendra 25 ans. Je tente de le réaliser au cours des 25 prochaines années », a dit Campbell. « Si vous voulez réellement changer les choses, il faut se joindre à la cause. Les changements viennent toujours de l’intérieur, pour tout le monde. »

Une autre photo de Campbell s’est frayée un chemin sur Instagram. C’est une photo que la police de San Jose a publiée sur son compte, à la fin du mois de mai. Campbell est passé en voiture tout près d’un terrain de basketball et il y a vu des enfants qui jouaient et ça lui a fait penser à lui, lorsqu’il était plus jeune. Un de ces jeunes l’a vu, dans sa voiture de police et lui a crié « Black Lives Matter ». « Tout à fait », lui a répondu Campbell. Par la suite, il a stationné sa voiture et les a joints sur le terrain.

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Saturday afternoon 5/30/20 in San Jose.

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« Je me suis joint à eux et ils ont vraiment aimé ça », a-t-il dit.

« S’il y avait eu des policiers qui avaient fait ça dans ma communauté, qui étaient venus jouer au basketball avec nous, qui étaient arrivés et nous avaient demandé comment nous allions, en étant plus humain, ça aurait grandement aidé. Ce n’est pas tout le monde qui peut être comme ça, qui a ces traits de caractère, mais il devrait y avoir quelques policiers du groupe qui soient comme ça et qui se promènent à travers les gens de la communauté. Ça montre à tous et à toutes que ce policier est comme tout le monde.»

« Aller jouer avec ces jeunes, leur parler, leur distribuer des collants, ça fait la différence. J’ai joué deux parties de basketball – et nous avons remporté les deux matchs – et ils ont vraiment aimé que je l’aie fait. Au lieu d’avoir peur de moi, ces jeunes sauront que je suis un être humain comme eux et qu’ils pourront venir me voir à tout moment. Il faut en faire davantage en ce sens. »

Pendant ses jours de congé, Campbell se promène sur les plages de sa nouvelle ville à l’aide de son vélo à grosses roues. Les vagues de l’océan frappent le bord des plages et il se remémore énormément son enfance. Il se souvient de lui, apeuré et menotté. Il pense aussi à quel point il peut redonner à sa société, à sa communauté. Donner quelque chose de différent, alors que les communautés des États-Unis crient qu’ils veulent que ça change.

« Je me connais très bien, je connais mon caractère et je sais pourquoi je fais ce que je fais », a conclu Campbell.

D’après un article de Chris O’Leary, paru sur CFL.ca