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10 juin 2020

Brandon Alexander : « Ça aurait pu être moi »

BlueBombers.com

TORONTO – Cette semaine, la Ligue canadienne de football (LCF) partagera les histoires de ses joueurs et du personnel des quatre coins de la Ligue, pour que leurs voix soient entendues parmi le mouvement « Black Lives Matter » qui s’active partout sur la planète.

Aujourd’hui, nous vous invitons à lire le mot écrit par Brandon Alexander, un demi défensif évoluant avec les Blue Bombers de Winnipeg.


Nous marchons tous pour George Floyd présentement. Des personnes de toutes les races et de toutes les ethnicités, partout dans le monde.

Tout ce qui se passe aux États-Unis – et partout dans le monde, en réalité – est une réaction. Tristement, la violence est devenue un peu trop commune au fil des années.

C’est pourquoi les gens demandent la justice. C’est pourquoi ils demandent des changements.

Nous voulons que justice soit faite pour George Floyd et pour tous ceux qui ont été victimes de brutalité policière. Nous voulons ce qui est bon pour nous, et ce qui doit être fait pour tout le monde.

Plusieurs l’ont déjà dit, mais je vais le répéter : vous ne venez pas au monde avec de la haine et en étant raciste. Ce sont des apprentissages. Vous apprenez grâce à vos expériences ou grâce aux interactions que vous avez avec vos parents ou avec les gens qui vous entourent chaque jour.

Mais on vous apprend à aimer, aussi.

Ce qui me frappe le plus lorsque je regarde cette vidéo du meurtre de George Floyd, c’est que ç’aurait pu être moi.

Ç’aurait assurément pu être moi…

J’ai 17 ans – quelques mois avant que j’amorce mes études universitaires – et je conduis la Cadillac de mon père avec un ami à la suite d’une journée mouvementée.

Elle allait le devenir encore plus.

J’avais passé un test d’admission universitaire (ACT) et, par la suite, j’avais participé à un match des étoiles au basketball. Il était environ 23 h, et nous revenions d’une foire qui avait lieu en ville. Nous nous trouvions à deux minutes de chez nous, dans un quartier plutôt décent d’Orlando, où il n’y a généralement aucun problème.

Nous nous sommes arrêtés à un panneau d’arrêt, puis une voiture a fait un 180 degrés autour de nous et a allumé ses lumières – pas les feux de police réguliers, mais les feux de route, ceux qui ressemblent à ceux d’un hélicoptère.

Un homme a utilisé un interphone et nous a demandé de nous ranger, ce que j’ai fait. Il m’a demandé de sortir de la voiture et de mettre mes mains sur le coffre, ce que j’ai fait. Il a ensuite demandé s’il y avait quelqu’un d’autre dans la voiture puis il m’a dit de lui demander de sortir de la voiture. Mon ami est également sorti et a posé ses mains sur le coffre.

Puis, j’ai entendu un agent prendre son radio-émetteur et dire : « Bon, nous avons trouvé ces garçons. » Tout à coup, j’ai pu voir les lumières des véhicules tout autour de nous s’allumer, et, je ne vous mens pas, il devait y avoir 40 policiers pointant des fusils de chasse et des armes de poing sur nous. Je ne savais pas ce qui se passait.

Ils m’ont demandé ce que j’avais fait, et j’ai répondu d’une manière calme – aussi calme que possible. Il m’a de nouveau demandé ce que j’avais fait, au moins six ou sept fois, et je lui ai raconté, chaque fois, exactement la même histoire.

Ils m’ont demandé si j’avais des armes sur moi, ce à quoi j’ai répondu que non. Mon père avait un permis pour une arme dissimulée et avait déjà sorti son arme de la voiture parce qu’il savait que je la conduisais.

Tout ce dont je me souvenais, c’était d’avoir appris que si j’étais arrêté, je devais être gentil et respectueux. Mais je n’avais jamais été arrêté de ma vie et je ne connaissais pas mes droits. Ils n’ont pas demandé mon identité ni demandé la permission de fouiller la voiture, mais ils le faisaient quand même.

À l’arrière de la voiture, ils ont trouvé un étui vide. Une fois qu’ils l’ont découvert, ils ont crié « Fusil! » Ils nous ont immédiatement encerclés et ont continué à crier : « Où est l’arme?! Où est l’arme?! » Je leur ai dit que mon père l’avait sortie parce qu’il savait que je conduisais sa voiture aujourd’hui. Ils ont commencé à me fouiller et, alors qu’il me fouillait, mon pantalon a commencé à tomber. Instinctivement, j’ai tendu la main vers le sol pour le relever. Je suppose qu’ils pensaient que je cherchais une arme : l’un des policiers a pointé son fusil de chasse dans mon dos et un autre a pointé son arme de poing sur mon visage et a dit : « Si tu bouges à nouveau, je vais tirer. »

Tout ce à quoi je pouvais penser était : « Est-ce que je vais rentrer à la maison? » Pendant que tout ça se passait, des gens du quartier sont sortis et ont dit : « Laissez-les tranquilles. Ce sont des enfants. » Mais on leur a dit de rentrer chez eux.

Je pouvais entendre les agents dire sur leur radio-émetteur que mon ami et moi correspondions à la description et que la voiture correspondait à la description, mais qu’il n’y avait pas d’enjoliveurs sur notre voiture. Ils m’ont demandé ce que nous avions fait avec les enjoliveurs, et je leur ai dit que je ne savais rien à ce sujet et, encore une fois, que c’était la voiture de mon père.

J’essayais d’être calme. Puis ils nous ont à nouveau demandé ce que nous avions fait toute la journée. Finalement, ils se sont tous réunis et ont commencé à parler loin de nous.

Enfin, ils ont simplement dit : « OK, vous pouvez rentrer chez vous. »

Je suis remonté dans la voiture et j’ai repris la route vers chez moi. Trois voitures de police m’ont suivi jusqu’à chez moi et, dès que je suis arrivé à la maison et que j’ai commencé à marcher vers la porte d’entrée, un policier a baissé sa fenêtre et a dit : « Tu ne vis pas ici. » J’ai dit : « Oui, monsieur, je vis ici. Je vis ici avec mes parents. »

Puis j’ai ouvert la porte, je suis entré, et il est parti, avec les deux autres voitures.

J’ai raconté le tout à mes parents, et ils étaient visiblement très contrariés. Ils sont allés au poste de police et on leur a dit qu’ils allaient enquêter, découvrir ce qui s’était passé et leur revenir. Nous n’avons jamais reçu d’appel et nous n’avons plus jamais entendu parler d’eux.

Cet incident m’a marqué. Depuis ce jour, chaque fois que je sors, j’ai peur quand une police est derrière moi. L’incident s’est produit en 2011, et il me hante depuis neuf ans. Je ne me sens pas à l’aise lorsque j’entends une sirène ou lorsque je vois un véhicule de police à côté de moi.

C’est pourquoi j’ai de l’empathie pour toutes les personnes qui ont vécu cela, parce que j’ai vécu une situation similaire. Et c’est pourquoi quand je vois la vidéo de George Floyd, je pense : « Ça aurait pu être moi. »

Je ne suis pas d’accord avec toutes les actions – les incendies de bâtiments et les pillages – qui ont lieu en ce moment. Mais je ne peux pas non plus prendre du recul et dire que je ne ressens pas ce qu’ils ressentent. Quand quelque chose comme ça arrive, il y aura toujours une réaction, et ça, c’est le résultat de cette action.

En fin de compte, je voudrais ajouter ceci : je sais qu’il y a de bons policiers dans ce monde. Des membres de la famille et des amis sont des policiers, et ils font du bon travail. Beaucoup d’entre eux voient aussi que ce qui s’est passé est mal. J’ai donc une pensée pour les policiers qui mettent leur vie en jeu, surtout en ce moment, avec tout ce qui se passe.

Je prie également pour eux, car, encore une fois, avec beaucoup d’autres bonnes personnes de toutes les races, ils se tiennent à nos côtés pour soutenir George Floyd et les autres personnes qui ont perdu la vie à cause de la brutalité policière ou qui sont victimes de racisme.

Il ne s’agit pas d’un conflit entre blancs et noirs; il s’agit de départager ce qui est bien de ce qui mal. Et le racisme, c’est mal.

Brandon Alexander