Longue lecture : Don Matthews et l’édition 1996 de la défense des Argos

« Pour toutes les fleurs qu’on me lançait à l’époque, nous avions toute une défense! Elle provoquait des revirements et elle arrêtait les attaques au bon moment. »

– Doug Flutie, ancien QA des Argos et membre du Temple de la renommée du football canadien 


C’est quelque chose qui arrive souvent, lorsque les gens se souviennent de la machine offensive des Argonauts de Toronto en 1996 et 1997.

Cette attaque! Cette attaque qui empilait les points avec facilité, menée par le quart-arrière Doug Flutie.

Deux saisons d’affilée avec une fiche de 15-3 et deux coupes Grey de suite, cette attaque captait l’attention de tout le monde.

Pour ceux et celles qui scrutaient les Argos de plus près, ils vous diront que la défense était aussi sensationnelle. Elle a trouvé sa chimie jusqu’à la première coupe Grey et elle a dominé toutes les attaques adverses afin de mettre la main sur la seconde.

Quelques-uns des joueurs de cette unité défensive croient qu’ils ont vécu dans l’ombre de l’attaque de Flutie. Hum… Pas tous les joueurs…



« Personnellement, je ne me sentais pas comme ça », a dit l’entraîneur-chef des Blue Bombers de Winnipeg Mike O’Shea. « Je sais bien que ça ne doit pas faire l’affaire des autres joueurs de cette défense que je dise ça, puisque nous avions un groupe extraordinaire, beaucoup de talent. »

Par la suite, il rit. « Mais nous avions Doug Flutie. C’est facile de jouer avec une avance. »

Marcello Simmons, le gagnant de trois coupes Grey qui est devenu coordonnateur des unités spéciales dans la Ligue canadienne de football (LCF) avant de devenir policier en Ontario, pourrait très bien être ce genre de joueur qui croyait que la défense des Argos de l’époque était tassée de l’équation. Lorsque nous lui mentionnons que nous travaillons sur un article à propos de la défense des Argos de ces années-là, il répond : « Vous voulez dire que vous écrivez un texte sur la meilleure défense de l’histoire de la LCF? »

Et Adrion Smith, le demi défensif qui avait scellé l’issue de la Coupe Grey de 1996 avec une interception tardive contre Edmonton, va dans la même direction. Flutie, Robert Drummond, « Pinball » Clemons, Paul Masotti et Jimmy « The Jet » Cunningham faisaient souvent les manchettes, il est d’accord. Et que la défense était aussi bonne que certains l’affirment?

« Si vous êtes un puriste, vous le savez », a-t-il dit, tout simplement.

La défense de l’édition 1997 des Argos bouffait ses adversaires, une machine qui pouvait se comparer aux meilleures unités défensives de tous les temps, incluant celle des Stallions de Baltimore en 1995, ou à celle d’Edmonton qui a permis au club albertain de remporter cinq coupes Grey consécutives. Ou toute autre défense à laquelle vous pensez.

Cette défense était la meilleure dans presque toutes les catégories. Elle n’accordait qu’une moyenne de 18 points par match, le meilleur résultat de la Ligue. Elle n’accordait que 92 verges au sol par match (1er rang). Elle était au premier rang au chapitre des verges de gains aériens accordées par match et de loin.

« Pour toutes les fleurs qu’on me lançait à l’époque », a dit Flutie. « Nous avions toute une défense! Elle provoquait des revirements et elle arrêtait les attaques au bon moment. »

Si la défense des Argos est devenue une unité faisant partie de l’élite en 1997, tout avait été semé la saison précédente.

Mais pour quelques-uns, ce n’était pas si prévisible.

Simmons s’était joint à l’équipe vers la fin de la saison désastreuse de 1995 (4-14). Il ne savait pas trop quoi penser de tout ça au début de la saison 1996, lui qui venait de passer deux campagnes dans la NFL. À son arrivée à Toronto, il jouait sous les ordres de Bob O’Billovich.


Un des joueurs de l’édition 1996 des Argos qui faisait souvent les manchettes était Jimmy « The Jet » Cunningham. Nous pouvons le voir ci-dessus sur la photo en train de courir pour marquer un touché de 80 verges au cours de la Coupe Grey 1996 (La Presse Canadienne).


À la suite de la saison, ce dernier n’y était plus.

« Nous voyons donc ce nouvel entraîneur arriver et il parle de vivre dangereusement, d’être compétitif et il dit qu’il aime les joueurs », se souvient Simmons. « Et je ne sais pas trop quoi en penser. »

« Nous nous disions… Mais qui est ce type? »

Ce type était Don Matthews, lui qui avait mené Baltimore à la Coupe Grey en 1995 avant de s’entendre avec Toronto.

C’était Matthews qui était l’architecte en chef de la défense des Argos, comme il l’a été dans d’autres équipes.

« Nous étions talentueux, nous étions agressifs, nous étions intelligents », a dit Demetrious Maxie, présentement l’entraîneur de la ligne défensive à Edmonton. « Et Don nous permettait d’être nous-mêmes et de simplement jouer au football. »

« Nous avions trois ou quatre schémas de défense par match », a expliqué Maxie. « Et nous les exécutions très bien jusqu’à ce que quelqu’un puisse les arrêter. Mais personne n’en était capable. »

À l’époque, Maxie était l’un de ces joueurs de ligne défensive qui absorbait la force de l’adversaire. Il s’est joint aux Argos en 1996, lui qui avait été libéré par les Alouettes de Montréal.

Un autre joueur clé s’est joint aux Argos de la même façon. Lester Smith avait été libéré par les Als au début de la saison, mais, tout près de la Coupe Grey, il avait gagné son poste de partant comme maraudeur, à Toronto. En 1997, il a été nommé sur l’équipe d’étoiles de la LCF.

Et O’Shea? Il est revenu dans la LCF à la suite d’un essai avec les Lions de Détroit dans la NFL, s’entendant avec les Argos en septembre 1996.

Lui, Maxie et Smith étaient tous des partants au cours de la Coupe Grey 1996, mais la défense n’avait pas bien amorcé le match.


Le joueur de ligne défensive Rob Waldrop se met dans le chemin de Danny McManus, lors du match de la Coupe Grey 1996, à Hamilton (La Presse Canadienne).


En effet, le quart-arrière d’Edmonton Danny McManus les avait taillés en pièces cette journée-là, mais bon… Il y avait tout de même une tempête de neige qui s’abattait sur le terrain. La défense d’Edmonton était la meilleure en 1996 dans à peu près toutes les catégories, mais Flutie s’est mis en marche un peu plus tard dans la partie.

Malgré le léger relâchement à la Coupe Grey de 1996, la défense des Argos devenait meilleure plus la saison avançait, refusant de céder contre Montréal en finale de l’Est, alors que les Argos l’avaient emporté 43-7.

« Je l’appelais la défense cinglante de Don Matthews », a dit O’Shea.

« Nous appliquions énormément de pression. »

« Cette défense n’était pas compliquée », se souvient Simmons, lui qui jouait aux postes de demi défensif et de secondeur. « Pas compliquée du tout. Nous appliquions des schémas très simples. »

« Nous étions toujours sur le ballon. »

La défense des Argos envoyait un joueur de plus en pression sur le quart, le front offensif adverse en avait plein les bras. Et elle le faisait en deuxième et long, la plupart du temps. Les Argos le faisaient souvent.

« Je crois que Lester Smith avait réussi quatre sacs du quart en un match », a dit O’Shea.

Mais la défense des Argos ne voulait pas nécessairement créer des sacs, explique O’Shea.

« La défense voulait sortir l’autre équipe du terrain, leur enlever le plus de temps possible. »

Avec les quarts adverses sous pression, la tertiaire des Argos se devait de réagir rapidement. Smith, lui qui travaille maintenant comme agent correctionnel avec les jeunes en Ontario, a dit que la tendance des attaques adverses était facile à deviner.

« Nous attendions les receveurs de pieds fermes », a expliqué Smith, lui qui est au deuxième rang de tous les temps avec 105 passes rabattues en carrière.

Les attaques adverses auraient dû s’ajuster, mais O’Shea nous rappelle que le football n’était pas ce qu’il est maintenant, avec des schémas bien plus compliqués des deux côtés du ballon. Et ce que la défense des Argos faisaient était du jamais vu.

« Nous étions talentueux, nous étions agressifs, nous étions intelligents. Et Don nous permettait d’être nous-mêmes et de simplement jouer au football. »

– Demetrious Maxie, ancien AD des Argos


« Les attaques ne s’adaptaient pas », a dit O’Shea, notant que Matthews était toujours un jeu en avance sur les autres. « Lorsqu’elles finissaient par s’ajuster, nous faisions la même chose… Et voilà! »

O’Shea, Smith, Maxie et Simmons étaient d’accord avec le fait que la grande force de l’unité défensive était l’énorme confiance qu’elle dégageait entre ses membres.

« La confiance et la communication » », a dit Maxie. « Nous n’avions jamais d’entraînement stressant. Tout était bien pensé pendant notre semaine de préparation. »

« Tout était donc très facile à exécuter pendant le match. »

L’autre élément important dans les succès de la défense torontoise était l’œil vif de Matthews et sa capacité à utiliser les forces de ses joueurs.

« Il était très créatif », a dit O’Shea. « Il prenait le temps de placer les gars dans de bonnes positions. Et il créait des positions pour d’autres joueurs. »

Reggie Givens était l’un de ces joueurs. Un secondeur réserviste pour Matthews à Baltimore, il est devenu un ailier défensif à Toronto. Givens ne faisait pas qu’appliquer de la pression sur les quarts adverses. Il reculait parfois en couverture de passe, ce qui était rare à l’époque.

« Je jouais au poste d’ailier défensif à l’époque et aussi au poste de secondeur », a dit Givens. « J’ai aussi joué en attaque. Il (Matthews) laissait libre cours à mon talent. C’était amusant. »

« C’était un groupe relaxe », a dit Maxie, mettant l’emphase sur le fait que c’était vraiment une belle expérience de jouer en défense à Toronto. « C’était tellement amusant. »


Une unité défensive des Argos pleine de confiance à du plaisir à revendre à la veille du match de la Coupe Grey 1996, à Hamilton (La Presse Canadienne).


Amusant, certes, mais seulement lorsque c’était le temps. Smith se souvient que Matthews avait demandé, lors d’un entraînement, si les joueurs pouvaient garantir une victoire cette semaine-là. Lorsqu’ils ont répondu « oui », il leur a dit que l’entraînement était annulé et qu’ils pouvaient repartir à la maison.

« Mais personne n’est parti », a dit Smith. « Tout le monde est allé à la salle d’entraînement, la salle vidéo, tout le monde est resté dans le vestiaire et a joué au ping-pong, aux dominos. Sinon, il y en avait qui allait se faire traiter physiquement. Personne ne s’en est débarrassé. »

« Tout le monde connaissait son rôle. Et tout le monde prenait son rôle au sérieux. Et le résultat serait le résultat. »

Un très bon résultat, pourrait-on dire, bien que cette défense légendaire ait toujours été dans l’ombre de la magie de Flutie.

D’après un article de Don Landry, paru sur CFL.ca