7 mars 2024

Hall : Se faire à l’idée d’être « UNE » journaliste

Un texte signé par Vicki Hall, traduit par l’équipe du LCF.ca.

À la veille de la Journée internationale des droits des femmes, je pense aux étiquettes et à leur signification.

Celles que je pose sur les autres, sans qu’ils le sachent, sans leur permission. Et celles que je porte.

Pendant la majeure partie de ma carrière, je bouillais par en dedans quand on faisait référence à moi comme « une journaliste sportive ». Je veux dire, c’était une description factuelle. Je suis une femme et mon métier était celui de pratiquer le journalisme sportif.

Mais j’évitais les questions à tout prix sur le sujet, à l’image d’un jeune Michael ‘Pinball’ Clemons qui évitait les plaqués de ses couvreurs sur les retours de dégagement.

Le nombre de fois que je me suis fait demander par des animateurs de radio de Montréal à Vancouver quels étaient les défis auxquels je devais faire face comme femme dans mon métier que mes collègues masculins ignoraient…

Ma réponse était toute prête. Je voulais être jugée uniquement sur la valeur de mon travail. Je voulais faire partie de la gang. Je déplorais toute suggestion que j’étais la « femme de service » sur la galerie de presse.

« Je ne pense pas que je suis UNE journaliste sportive », répondais-je, comme un robot. « Je suis journaliste, je couvre le sport. Il n’y a aucune différence. »

Puis, les choses ont changé en novembre dernier. Je suis devenue la première femme à être intronisée au Temple de la renommée du football canadien, dans la catégorie des médias. Au fil du temps, j’ai réalisé que je réduisais la portée mes réalisations et que je n’aidais pas les autres en refusant de reconnaître que j’étais une journaliste sportive.

J’en suis venue à la conclusion que si je restais silencieuse sur les bons et les moins bons moments de ma carrière, je n’aiderais pas les autres femmes à faire carrière dans l’industrie, alors qu’elles naviguent des eaux remplies de défis, dont la montée choquante des attaques à l’endroit des représentants des médias et autres personnalités publiques sur les médias sociaux.

Pour moi, je serai toujours reconnaissante envers d’autres journalistes sportives qui ont tracé la voie pour moi au Canada. Je pense à Joanne Ireland, Lisa Miller, Judy Owen, Lori Ewing, Donna Spencer, Rita Mingo et ma mentore, la regrettée Christie Blatchford.

Après six ans aux nouvelles générales, je suis passée aux sports en 2021 comme journaliste attitrée à la couverture de la LCF pour l’Edmonton Journal. Ma saison recrue fut difficile.

À l’ouverture du camp d’entraînement, le regretté Don Matthews était l’entraîneur-chef du club. Figure intimidante, Matthews ne m’adressait essentiellement pas la parole. C’était quand même un problème de taille puisque je devais rapporter ses propos chaque jour dans le journal…

Lors des deux premiers mois, un joueur – qui restera anonyme – baissait ses pantalons chaque fois qu’il me voyait. Au début, je croyais vraiment que l’élastique à la taille de ses pantalons n’était plus fonctionnel. Mais après deux ou trois fois, j’ai réalisé que c’était a) intentionnel et b) pour que « j’apprécie » le spectacle.

Je suis restée abasourdie jusqu’à ce qu’un jour, à Hamilton, le joueur au pantalon problématique décide de s’adonner à une sorte de danse obscène derrière moi pendant que je menais une entrevue d’après-match.

C’était l’une de ses journées chaudes et humides au stade Ivor Wynne et je me souviens d’être debout, à l’extérieur du vestiaire pour me calmer, avant d’avoir à remonter les marches pour joindre la galerie de presse.

« Est-ce que ça va? », m’avait alors demandé le secondeur A.J. Gass. « Es-tu correcte? »

Je l’ai regardé, en lui servant ma face la plus neutre possible.

« Oui, bien sûr. », avais-je répondu.

« D’accord, mais si jamais ça ne va pas, mettons, tu viens me voir et tu me le dis », avait répondu Gass.

Les choses ont changé à ce moment précis. Je n’ai plus jamais eu à affronter ça.

Du soutient offert par des gens comme A.J. Gass à Edmonton a contribué à faire sentir à Hall qu’elle avait sa place dans un monde avec peu de présence féminine. (La Presse Canadienne)

Je savais que les leaders de l’équipe, un groupe qui comptait sur des gars comme Gass, Jason Maas, Ricky Ray, Ed Hervey, Sean Fleming et Singor Mobley, allaient me défendre, même lorsque j’allais écrire quelque chose qu’ils n’aimeraient pas nécessairement.

Et pour cela, j’en serai éternellement reconnaissante.

Mon travail comme journaliste, à Edmonton puis à Calgary, m’a permis de voyager à travers le pays pour être une témoin privilégiée de la magie du football à trois essais. J’ai pu nager dans la baie de Burrard avant un match à Vancouver. Je savourais la folie du football à l’Université McGill, même si, initialement, il n’y avait pas de toilettes pour les femmes au niveau de la galerie de presse.

J’ai interviewé des milliers de joueurs de football au fil des années. Ils ont à peu près tous été gentils, alors qu’ils me racontaient leurs histoires à propos des matchs et de leurs vies.

J’ai appris à écrire à propos du football grâce à des légendes qui étaient assises à côté de moi dans les galeries de presse et qui me considéraient comme l’une des leurs. J’ai sacré aussi fort qu’eux un certain soir lorsque Milt Stegall avait marqué un touché de 100 verges sur le dernier jeu du match, forçant tous ceux qui étaient-là à réécrire leur texte en deux ou trois minutes pour ne pas rater l’heure de tombée (Milt, je te pardonne, même si je ne suis pas certaine que mon cœur ne s’en soit jamais complètement remis).

Mais il y a eu des moments difficiles pendant lesquels être la seule femme me faisait sentir bien seule. À la Coupe Grey 2003, à Regina, je me dirigeais vers le niveau du terrain à la fin du quatrième quart lorsqu’un agent de sécurité m’a arrêté en disant que je ne pouvais pas passer, clamant que mon accréditation devait être frauduleuse, que je ne pouvais pas réellement être journaliste sportive.

L’heure de tombée approchait. J’ai crié à l’agent. J’étais enragée. J’étais tellement hors de moi qu’un autre agent s’est approché. On m’a éventuellement donné l’accès pour effectuer mon travail.

Je crois que les chances qu’une situation comme celle-là se reproduise sont minces. Du moins, j’espère. Les défis auxquels font face les femmes dans le milieu du journalisme sportif sont différents maintenant.

De temps à autre, je recevais des lettres dans la salle de rédaction de la part de lecteurs attentionnés qui me recommandaient de retourner aux fourneaux de ma cuisine… C’était drôle, considérant qu’à l’époque, je ne suis pas certaine que quelqu’un voulait goûter à ce que je pouvais cuisiner.

Aujourd’hui, ces lettres envoyées aux femmes se sont métamorphosées en agressions numériques en direct qui apparaissent sur leur téléphone.

Nous devons faire plus pour soutenir ces femmes et leur santé mentale afin de nous assurer qu’elles travaillent dans des environnements sécuritaires.

Quand je regarde mon parcours, je comprends que mon mécanisme pour endurer tout ça était d’essayer d’être un des boys. Je voulais écrire avec autant d’éloquence qu’eux. Je voulais poser les mêmes questions incisives. J’ai même essayé de boire autant qu’eux dans les nombreux bars que nous avons hantés dans toutes les villes (ça, ce n’était pas ma meilleure décision).

Mon avis aux journalistes sportifs d’aujourd’hui, c’est de rester fidèle à eux-mêmes. Nous apportons tous quelque chose de différent et l’industrie a besoin de toutes sortes de perspectives. D’où tu viens, qui tu aimes ou comment ton cerveau fonctionne, ça n’a aucune importance. Tu peux être toi-même, peu importe les étiquettes qu’on peut bien t’accoler.

C’est un honneur d’être la première femme intronisée au Temple de la renommée du football canadien. Je suis fière d’être UNE journaliste sportive. Et je sais que je ne serai pas la seule au Temple pendant bien longtemps.

Les portes sont ouvertes. J’attends impatiemment que d’autres femmes viennent m’y rejoindre.